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Le Millésime 2019 en Cardiologie Interventionnelle ! ( Marouane Boukhris )

INTRODUCTION

      En cardiologie interventionnelle, comme en cardiologie, l’année 2019 a été un bon millésime. Plusieurs essais présentés et/ou publiés sont venus confirmer des données, infirmer des hypothèses et éclaircir certains points de la prise en charge des patients atteints de pathologies cardiovasculaires. Dans ce qui suit, vous trouverez  un aperçu des essais majeurs de l’année (en pathologie coronarienne ainsi qu’en structurel) qui m’ont interpellé, avec une lecture (assez personnelle et critique) des résultats et des enjeux thérapeutiques

 

PATHOLOGIE CORONARIENNE

Revascularisation coronaire

     L’étude COMPLETE a été finalement complétée !! Présentée à l’ESC initialement puis au TCT, cette étude randomisée multinationale s’intéressait aux patients pluritronculaires référés pour STEMI. Après un suivi médian de 3 ans, les résultats de la revascularisation complète étaient significativement supérieurs à ceux de la revascularisation de l’artère coupable uniquement; et ce en terme de mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde (IDM) et de revascularisation ultérieure. A noter que le bénéfice de compléter la revascularisation était indépendant du fait « qu’on finisse le travail » durant la même hospitalisation ou à distance. Ceci est particulièrement intéressant notamment chez les patients insuffisants rénaux ou a risque de développer une néphropathie induite au produit de contraste. 

Contrairement aux syndromes coronaires aigus (SCA), la coronaropathie stable demeure un des derniers bastions du traitement médical, où l’angioplastie percutanée n’a pas « encore » prouvé son impact sur la mortalité et la réduction des évènements cardiovasculaires majeurs. Digne héritière de COURAGE, ISCHEMIA (menée d’ailleurs par les mêmes investigateurs principaux) est venue « en apparence » enfoncer encore plus l’égo des interventionnistes malgré leurs stents médicamentés plus performants. Cette étude randomisée multinationale et intercontinentale incluant des patients coronariens stables avec une ischémie bien documentée, a conclu à une non-infériorité du traitement médical « très » optimal vs. une stratégie invasive, et ce après un suivi médian de plus de 3 ans. Toutefois, cette étude excluait les patients avec angor limitant, dysfonction ventriculaire gauche sévère (fraction d’éjection <35%), et lésion du tronc commun gauche. De plus, presque un tiers des patients du groupe traitement médical ont nécessité au cours du suivi une exploration invasive.

Pour toutes ces raisons, chers collègues interventionnistes ne vous inquiétez pas. Vous continuerez à dilater des patients électifs stables. En effet, loin de déclarer la guerre entre cliniciens et hémodynamiciens, ISCHEMIA encourage plutôt à bien documenter l’ischémie, optimiser la thérapie médicale et rationaliser l’approche invasive en présence de coronaropathie stable.

Double anti-aggrégation plaquettaire

     La double anti-aggrégation plaquettaire (DAAP) est un sujet qui continue à déchainer les foules.  Il est clairement démontré que le prasugrel et le ticagrelor sont des anti-plaquettaires plus puissants que le clopidogrel dans le traitement des SCA. Par contre, il est difficile de dire, entre le prasugrel et le ticagrelor, qui fait mieux. Alors que le ticagrelor semblait gagner la bataille dans la pratique, en raison de certaines contre-indications du prasugrel [notamment un antécédent d’accident vasculaire cérébral (AVC)], et les saignements qui lui sont associés ternissant (à tort ou à raison) sa réputation; l’étude ISAR-REACT 5 est venue jeter un pavé dans la marre.

     Cette étude a randomisée plus de 4000 patients, ticagrelor vs. prasugrel dans un contexte de SCA (84.1% angioplastie, 2.1% pontage). Le groupe prasugrel a présenté moins d’événements (mortalité, IDM, AVC) à un an par rapport au groupe ticagrelor (6.9% vs. 9.3%; p=0.006) sans pour autant causer plus d’évènements hémorragiques (4.8% vs. 5.4%; p=0.46). Est-ce que cette étude, qui a redonné au prasugrel ses lettres de noblesses, contribuer à changer la pratique? Seul l’avenir nous le dira.

     Dans un autre contexte, les investigateurs de l’étude TWILIGHT se sont intéressés aux patients à très haut risque hémorragique et ayant eu une angioplastie coronaire avec 3 mois de DAAP. La prescription ultérieure d’une monothérapie de ticagrelor vs association (ticagrelor + aspirine) pour 12 mois permettait une réduction notable des saignements (incluant ceux majeurs) sans pour autant avoir une augmentation des évènements ischémiques à un an. Ainsi, ces résultats encouragent à réduire « raisonnablement » la durée de la DAAP chez les patients qui risquent de saigner avec la possibilité d’arrêter l’aspirine de façon sécuritaire sans thromboser.

     En effet, un mythe commence à s’effondrer. Jadis considérée comme la pierre angulaire du traitement de tout coronarien, l’aspirine perd progressivement son trône d’anti-plaquettaire (ou anti-thrombotique) de premier choix. L’aspirine fait saigner le tube digestif. L’aspirine n’est pas indiquée en prévention primaire. Et maintenant avec l’étude AUGUSTUS (incluant des patients avec fibrillation auriculaire ayant eu une angioplastie), l’aspirine pourrait être abandonnée (à l’exception de la dose de charge initiale) au profit d’une association double clopidogrel et anticoagulant oral (en l’occurrence apixaban à full dose 5mg b.i.d). Les essais futurs, dans l’ère de l’approche personnalisée de la DAAP, nous diront si l’avenir s’écrira avec ou sans notre « bonne vieille » aspirine.     

Revascularisation du tronc commun gauche non protégé

     La revascularisation du tronc commun continue (et continuera) à faire couler beaucoup d’encre. Les résultats à long-terme (à 5 ans) de l’étude EXCEL ont montré qu’en présence d’une lésion du tronc commun gauche l’angioplastie était non-inférieure à la revascularisation chirurgicale par pontage pour le critère de jugement primaire composite (mortalité toutes causes, IDM et AVC) (22% vs.19.2%; p=NS). Un regard diffèrent à ses résultats pourrait être suggéré par une lecture plus attentive des courbes d’évènements tout au long du suivi. A un mois, le groupe angioplastie avait moins d’évènements que le groupe chirurgical. Toutefois, l’avantage précoce du traitement percutané tendait à s’estomper avec le temps avec des courbes qui se croisaient à 36 mois, et des résultats similaires à 5 ans. Que seront les résultats à plus long terme? Difficile à dire d’autant plus que les sponsors de l’étude (industrie du stent) ont renoncé à financer le suivi ultérieur. Est-ce un signe?

     Alors chers amis et collègues chirurgiens, il n’est pas encore l’heure de ranger vos bistouris! La retraite n’est pas pour bientôt!

Stents médicamentés

     Quel stent utiliser pour l’angioplastie du tronc commun gauche ? La question est pertinente.

     L’étude IDEAL-LM a non seulement tenté de répondre à cette question mais s’est également essayée à déterminer une durée optimale de la DAAP dans un tel contexte. En effet, cette étude randomisée visait à comparer les résultats (en termes d’évènements ischémiques et hémorragiques) d’une angioplastie du tronc commun par un stent médicamenté à polymère biodégradable [Synergy (Boston Scientific)] (avec 4 mois de DAAP) vs. un stent médicament a polymère durable [Xience (Abbott Vascular)] (avec 12 mois de DAAP). Les 2 stents étant à élution everolimus. A un an, le critère primaire composite (mortalité toutes causes, IDM, revascularisation ultérieure) était statistiquement similaire entre les 2 groupes (14.6%, vs. 11.4%; p=0.17). De façon très surprenante et inattendue, plus d’évènements hémorragiques majeurs (BARC 3-5) ont été notés dans le groupe avec DAAP raccourcie (2.7% vs. 0.5%; p=0.02). Les investigateurs eux-mêmes peinent à trouver des explications pertinentes à ces résultats.

A part confirmer que l’angioplastie du tronc avec les stents de nouvelle génération est une approche sécuritaire, l’étude IDEAL-LM a plus apporté de doutes, que de certitudes. Pourquoi 4 mois?, pourquoi saigne-t-on plus avec une DAAP plus raccourcie? Espérons que le registre tout-venant IDEAL-LM lancé dans la foulée, lèvera quelque peu ce flou.

Occlusions totales chroniques

      Faut-il oui ou non revasculariser une occlusion totale chronique (CTO)? La question reste toujours posée.

     Certes, le taux de succès a considérablement augmenté dans les centres experts frôlant parfois 90%. Toutefois, l’intérêt et le bénéfice cliniques demeurent controversés. Et ce n’est pas l’étude coréenne DECISION CTO, dont les résultats ont été présentés depuis 2017, et qui a « enfin » été publiée, qui changera cela. Cette étude randomisée multicentrique a montré la non-infériorité du traitement médical par rapport à l’angioplastie en présence de CTO. Toutefois, le manque de puissance statistique, la présence de plusieurs biais, l’absence de traitement des lésions non-CTOs avant randomisation et un crossing over de presque 20% (dans le groupe traitement médical), s’opposent à la généralisation de ses résultats. L’année 2019 a aussi vu aussi la présentation des résultats du suivi au long cours de l’étude EURO-CTO qui a initialement montré un impact positif de l’angioplastie sur la qualité de vie des patients avec CTO par rapport au traitement médical. A 3 ans, l’angioplastie demeure une approche sécuritaire n’étant pas associée à un surplus de mortalité ou d’IDM.

PATHOLOGIE STRUCTURELLE

Remplacement valvulaire aortique percutané

S’il ya eu une revolution en cardiologie interventionnelle en 2019, elle concernait bel et bien le remplacement valvulaire aortique percutané (TAVI). Dix-sept ans après le premier cas réalisé par Alain Cribier, le TAVI s’est imposé comme un traitement incontournable venant concurrencer le remplacement valvulaire chirurgical, jadis unique traitement du rétrécissement aortique dégénératif.

Initialement reservé aux cas à risque chirurgical prohibitif (comme dernier recours), le TAVI a vu ses indications s’élargir de façon “insolente” (mais justifiée) pour s’étendre aux patients à haut risque (2011-2014) puis à ceux à risque chirurgical intermédiaire (2016-2017). L’année 2019 était celle de la consécration. En effet, la publication des études PARTNERS 3 [Sapien 3 (Edwards Lifesciences)] et EVOLUT LOW RISK [COREVALVE, EVOLUT R, et EVOLUT PRO (Medtronics)] est venue affirmé que le TAVI (transfémoral) était non inférieur (pour les 2 études), voire supérieur (PARTNERS 3) au remplacement valvulaire aortique chirurgical chez les patients à bas risque. Avec une mortalité et un taux d’AVC ~ 2-3% à 1 an (pour chacun des évènements) et des performances hémodynamiques satisfaisantes, le TAVI a logiquement obtenu en 2019 l’accord de la FDA pour les patients à bas risques. La durabilité à long termes des valves transcutanées chez les sujets à bas risqué (plus jeunes) sera à suivre avec intérêt dans les années qui viennent.

      Alors amis chirurgiens, convertissez vous! Devenez hybrides! Au risque sinon de ne plus opérer que des bicuspidies aortiques.

MitraClip

     Les résultats à 3 ans de l’étude COAPT, présentés au TCT, ont continué à confirmer la supériorité d’un traitement medical optimal associé à un traitement par Mitraclip vs. traitement medical optimal seul en cas d’insuffisance mitrale fonctionnelle; et ce en termes de survie prolongée et moins d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Le crossing over (de traitement conservateur à un traitement plus invasif) authorisé dans cette étude à partir de 2 ans; n’a fait que confirmer 12 mois plus tard l’intérêt du MitraClip. Ces résultats étaient en discordance avec ceux à 2 ans de l’étude MITRA-FR, présentée à l’ESC, et qui ne montrait pas de bénéfices cliniques du MitraClip. Les divergences entre les résultats des 2 études seraient probablement dues aux differences importantes en termes de caractéristiques cliniques des patients, de paramètres échographiques, de definition de l’insuffisance mitrale et de traitement medical prescrit.

 

CONCLUSION

     En conclusion, ceci n’est qu’une analyse assez personnelle (loin d’être exhaustive) des études qui m’ont marqué cette année.  La cardiologie interventionnelle est en pleine évolution. Les limites de l’angioplastie coronaires sont poussées à l’extrême “raisonnable”. Le structurel prend de plus en plus de place dans l’activité des cathlabs. Vivement 2020! Bonne année à tous!